Créolisation culturelle, forces et faiblesses
La créolisation : un processus « infini » et « imprévisible »
Développée en 1974 par Edward Kamau Brathwaite, écrivain d’origine barbadienne, la créolisation se définit comme une forme d’hybridation culturelle ayant pour but une unification des peuples, quelle que soit l’origine ethnique. Faisant son apparition dans la société créole caribéenne, la créolisation est une identité multiple sans frontières mélangeant les racines européennes, africaines, indiennes et autres : c’est la création d’une nouvelle culture unique.
Pour Edouard GLISSANT la créolisation, c’est un métissage d’arts, ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs. C’est la création d’une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l’uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques.Loin d’être un simple accident de l’histoire réservé à une minorité, ce terme désigne pour lui un processus global, toujours plus actuel et irréversible de rencontres et « de bouleversement des histoires et de renouvellement des géographies », autrement dit de re-créations culturelles :
Le maloya, fusion des traditions africaines, malgaches, indiennes mais également françaises, est un exemple « particulièrement net des processus de créolisation culturelle » qui s’est développé à la Réunion.
Ce processus de créolisation a cependant été entravé dans son histoire par la violence de la colonisation française et de son corolaire : l’Assimilation.
L’assimilation coloniale.
L'assimilation coloniale dans une société créole fait référence aux processus par lesquels les puissances coloniales ont cherché à imposer leur culture, leurs valeurs et leurs institutions aux populations locales dans les colonies. Ces processus visaient souvent à transformer les sociétés colonisées en répliques des sociétés colonisatrices, effaçant ou marginalisant les cultures locales au profit de la culture du colonisateur.
L'assimilation coloniale dans une société créole concernait divers champs du fonctionnement de celle-ci dont principalement :
- L’imposition de la langue : Le colonisateur a imposé sa langue comme langue officielle, marginalisant les langues locales et créoles. Cela visait à faciliter l'administration coloniale et à promouvoir la culture du colonisateur.
- L’éducation et la scolarisation : Les systèmes éducatifs coloniaux étaient conçus pour inculquer les valeurs et les connaissances de la culture colonisatrice. Les écoles enseignaient essentiellement l'histoire, la littérature et les sciences du pays colonisateur.
- La religion : Les missionnaires coloniaux ont cherché à convertir les populations locales à la religion du colonisateur, remplaçant les croyances et pratiques religieuses locales.
- L’économie et le travail : Les économies coloniales étaient organisées pour servir les intérêts du pays colonisateur. Cela pouvait inclure l'introduction de cultures de rentabilité, l'exploitation des ressources naturelles et l'imposition de systèmes de travail forcés (esclavage) ou semi-forcés(engagisme).
- La culture et l’identité : Le colonisateur a cherché à dévaloriser voire nierles cultures locales et plus largement toutes celles des pays dont étaient issus les différentes composantes de la population, présentant sa propre culture comme supérieure. Cela incluait, la promotion des arts et de la littérature du colonisateur, et la marginalisation, jusqu’à l’interdiction parfois, des expressions culturelles locales.
- Le métissage et hiérarchies raciales : Le métissage, à certaines périodes, était stigmatisé voire interdit. Les sociétés coloniales étaient souvent caractérisées par des hiérarchies raciales complexes, où les individus étaient classés en fonction de leur proximité avec la culture et l'apparence du colonisateur, de leur niveau d’assimilation.
L'assimilation coloniale a eu des effets durables, qui perdure encore aujourd’huisur les sociétés créoles, façonnant leur culture, leur identité et leurs structures sociales de manière complexe et souvent conflictuelle. Ces processus ont également engendré des résistances et des mouvements de revendication culturelle, luttant pour préserver et valoriser les héritages locaux.
Un chemin vers la décolonisation culturelle.
- La colonisation a débuté à La Réunion en 1663, et l’ile a accédé au statut de département Français en 1946. Depuis quelques décennie la question de l’identité réunionnaise a commencé à se poser. Tout naturellement, survient la nécessité d’entreprendre un processus de décolonisation des esprits et donc de la culture.
La décolonisation culturelle est un processus visant à remettre en cause et à corriger les rapports de pouvoir, les représentations et les pratiques héritées du colonialisme dans les domaines culturels (savoirs, langues, musées, arts, éducation, patrimoine).
La Réunion, située au cœur de l'océan Indien, est un véritable carrefour de cultures, mêlant des influences africaines, malgaches, indiennes, chinoises, européennes et bien d’autres. Les artistes réunionnais disposent de cette richesse culturelle pour créer des œuvres qui célèbrent cette pluralité. Ils peuvent intégrerdes rythmes, des mouvements, des musiques et des symboles issus de différentes traditions de la région, comme le maloya, le séga, des danses traditionnelles et contemporaines africaines, malgaches, mozambicaines ou encore indiennes. Ces créations chorégraphiques devenant ainsi des vecteurs de transmission, de mémoire et de fierté pour les communautés de l’océan Indien. De plus, en collaborant avec des artistes issus d’autres îles de l’océan Indien, comme Madagascar, Maurice ou les Comores, la scène chorégraphique réunionnaiseaspire, en favorisant l’échange interculturel, à l’émergence de nouvelles formes artistiques hybrides, permettant ainsi la mise en lumière de la richesse créatricede cette région, en proposant des œuvres innovantes qui reflètent la diversité et la complexité de l’identité Océan Indien. La danse à La Réunion devient un espace d’expression où la diversité culturelle de l’océan Indien est non seulement valorisée, mais aussi célébrée comme une source d’inspiration pour la création artistique. Ces créations jouent un rôle essentiel en permettant de questionner la domination culturelle et de réaffirmer la valeur des cultureslocales.
En somme, la rencontre des créations chorégraphiques dans l’océan Indien devient un moyen puissant pour déconstruire l’assimilation, en valorisant la diversité culturelle.
Déconstruire l’assimilation culturelle implique de remettre en question l'idée que les individus doivent se conformer à une culture dominante pour être acceptés ou intégrés par une société dans laquelle les groupes minoritaires sont incités ou forcés à adopter les pratiques, les codes, les valeurs et les comportements de la culture dominante. Cela soulève des questions sur l’identité, la diversité, les droits culturels et l’équité.
En déconstruisant l’assimilation culturelle, on ouvre la voie à une société plus inclusive, où les droits culturels des individus sont respectés. Cela mène à une meilleure compréhension mutuelle, à la réduction des conflits culturels et à un renouveau des pratiques sociales et artistiques issues de diverses traditions.
Ce processus doit cependant, souvent se confronter aux multiples traces et empreintes de la politiques assimilationniste, inscrites dans les inconscients.
Le modèle culturel européen a été présenté comme supérieur créant parfois un sentiment d’infériorité culturelle, le créole, perçu comme une langue de moindrevaleur, et la culture locale comme "folklorique". Certains cherchent alors à se rapprocher de l’idéal occidental dans leurs comportements, apparence, langage.Une minorité cultivée dans le moule français domine les institutions, souvent déconnectée des réalités populaires. Mais il persiste souvent, même pour cespersonnes, un sentiment confus d’être à la fois créole et français sans, pour autant se sentir totalement reconnu comme l’un ou l’autre.
Par ailleurs, il existe chez certain, un sentiment de conflit de loyauté, entre un attachement aux valeurs locales et les pressions pour se conformer à la culture dominante. De même, la persistance d’un silence ou du tabou autour de l’histoire coloniale, de l’esclavage, ou de la résistance locale, génère une difficulté à construire une mémoire commune.
L’appropriation culturelle
Il est aussi nécessaire de se pencher sur la question de l’appropriation culturelle dans la constitution d’une société créole.
L’appropriation culturelle est souvent source de débats parce qu’elle touche à des questions d’identité, de pouvoir et de respect. Par exemple, lorsqu’une culture dominante utilise des symboles sacrés ou des pratiques d’une culture minoritaire sans en comprendre la signification profonde, cela peut être perçu comme une forme d’exploitation ou de réduction. - Les critiques insistent sur l’importance du contexte historique et social : l’appropriation devient problématique quand elle ignore les souffrances ou les discriminations subies par la culture d’origine. - Le débat inclut aussi la question de la propriété culturelle et des droits moraux liés aux expressions culturelles. L’appropriation culturelle pointe les risques liés à une adoption non respectueuse et déséquilibrée, souvent liée à des rapports de domination.
Comme outil conceptuel mobilisé dans une perspective résolument militante, et les controverses qu’elle suscite, elle pose donc des questions fondamentales : une culture peut-elle avoir un propriétaire ? Peut-elle être considérée comme le bien exclusif d’un groupe, dès lors défini en terme d’identité ? Qui contrôle son utilisation ? Qui peut s’arroger le pouvoir de déterminer comment une forme culturelle particulière peut être utilisée, et par qui ?
Dans le cas de l’appropriation culturelle, certaines pratiques ont la particularité de relever souvent de la monstration et de la performance, voire de techniques du corps jouant un rôle important dans la présentation sociale de soi. Dans la plupart des cas (dreadlocks, tresses africaines, coiffures indiennes), leur force symbolique fonctionne comme un rappel d’une oppression ou sa contestation. Par quelle profondeur historique ont-ils été investi du pouvoir de signifier une identité de groupe ? Comment en étendant le cercle de ses « propriétaires » au-delà de la collectivité d’origine, un objet culturel traditionnel s’est-il chargé de nouvelles significations (celle par exemple d’évoquer des souffrances et des luttes, d’être un emblème de résistance à l’oppression raciale, à la domination coloniale) ?
La créolisation soulève une multitude de questions liées à l’affirmation de soi et le rapport à l’altérité. Nous ne pouvons pas nous exonérer d’une vigilance quant à l’orientation de la réflexion sur ces questions aussi essentielles que sensibles.
C’est donc un chantier vaste, complexe mais riche auquel nous ambitionnons de prendre notre part et d’apporter notre contribution pour ce qui concerne le domaine de la création et des pratiques chorégraphiques de l’océan indien.
Sylvia Wynter, autrice caribéenne, révèle que le mot conspiration vient du latinconspirare, qui veut dire respirer ensemble. Conspirer, cette idée de s’organiser contre le roi, de faire monter le pouvoir, d’aller faire tomber des dictateurs en Afrique, ça c’est un projet politique essentiel. Or l’idée de solidarité repose pleinement sur celle d’aligner son souffle avec celui du voisin, de la voisine, on est vraiment sur l’échelle humaine.
Le festival annuel créé et porté par Lalanbik à pour intitulé SOUFFLE O.I.
Dominique Carrère
Éducateur de formation, musicien et chanteur, militant culturel, Président de Lalanbik CDCN - océan Indien.