UN ANIMAL SAUVAGE PEUT CROISER VOTRE ROUTE

UN GESTE o.I. LOST IN TRANSLATION.
©Céline Serrad

Marion Schrotzenberger est chorégraphe danseuse et réalisatrice. Enfant de la Diaspora, son ancrage est double, entre l'île de la Réunion dont elle est originaire et Bruxelles où elle garde un goût prononcé pour le quotidien des gens ordinaires, la cuisine, l'humour et les histoires qu'on se raconte tard le soir. 

Le 14 novembre 2025, à Lespas, Saint-Paul de La Réunion, Marion Shrotzenberger présente pour la première fois, avec son collectif Lookatmekid, sa nouvelle création UN ANIMAL SAUVAGE PEUT CROISER VOTRE ROUTE, dans le cadre du Festival SOUFFLE o.I. #6 – Koulér s.
 

L’œuvre, d’une rare précision, est un véritable bijou. Marion développe une écriture chorégraphique d’une grande exigence esthétique : le traitement de la lumière et de l’espace scénique compose un véritable dispositif cinématographique.

Marion joue sans cesse du champ et du hors-champ. Elle sort du plateau pour aller chercher son café, et nous voilà immédiatement embarqué·es dans un road trip, immergé·es dans ce mouvement continu, la force poignante du récit est saisissante. Marion est désormais une mère solo, une Saint-Seya plongée dans un quotidien de lutte. C’est l’histoire de tant de femmes contraintes de se battre dans l’espoir de garder leurs filles auprès d’elles. Marion refuse la tragédie : le sol ne se dérobera pas sous nos pieds, même sous le poids d’un cœur brisé, car nous continuerons à rire. Parfois même, à gorge déployée.

Avec Lalanbik, Marion interroge les lieux d’ancrage des gestes chorégraphiques propres à l’océan Indien. Si l’esthétique de Marion démarre depuis une inspiration vernaculaire, elle ouvre avec nous un espace de danse et de poésie en chacun·e, dans les gestes du quotidien. 

J’ai aussi l’intuition que le « geste océan Indien » s’énonce, en contre-champ, dans l’œuvre de Marion Schrotzenberger à travers une mémoire diasporique sensible.
C’est une forme de mémoire qui se manifeste dans le déplacement, le transit, cet espace entre-deux.  

D’un côté, le souvenir, la nostalgie d’un état originel (idéalisé) ; de l’autre, la réalité matérielle, austère, méthodiquement tenue à distance, maintenue en suspens. 

Il y a ici une stratégie, celle de tourner en dérision le cynisme de nos sociétés matérialistes pour l’empêcher d’altérer le rêve, l’enfance, faite en partie de l’expérience sensible d’une île qui incarne le souvenir.

C’est là que se loge le transport sensuel du lien à la terre : le goût des mangues, leur chair sucrée, gorgée de soleil. Ce goût même constitue l’attache, le passage, le seuil.

Le goût est une pièce maîtresse dans la composition synesthète de 96 Samoussas. Dans Nueve y Viento, la mort - espace transitoire par définition - se cristallise en une ouverture béante dans le sol. Les protagonistes s’y jettent comme on franchit un seuil vers un autre monde, une autre dimension. Souvent apparaît la valise, symbole d’un éternel retour. Le téléphone à cordon, maintient le fil.

C’est aussi dans la nostalgie de l’île qu'Un animal sauvage peut croiser votre route multiplie les lieux de passage : la route et la station-service, la forêt, le procès. Des espaces qui fonctionnent comme autant de zones de transit, à la manière d’un aéroport, quelque part Lost in Translation.

Dans ce geste océan Indien, le déplacement tient lieu de madeleine de Proust : c’est par le mouvement que surgit la réminiscence, et que la mémoire - ainsi que l'attache - demeure vivante.  

Leïla Payet, 2025.

Directrice artistique - Image et Projets transversaux - Lalanbik.re

Artiste chercheur•e APILAB ( École Supérieure d'Arts Réunion )

Artiste du Réseau Document d'Artistes Réunion - Membre du CAAP Réunion 

 

Publié le 04/12/2025